Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Le Voyage (Tommy Egg) par Thierry Bellefroid
« Le voyage », tome 1 de la série Tommy Egg, par Eco. Chez Paquet.

Eco quitte le muet et le noir et blanc. Il installe une série en couleurs directes pour nous raconter les aventures d'un gamin qui abandonne sa campagne natale dans l'espoir de réussir à la ville. Le gamin en question, Tommy Egg, est un grand naïf et Eco se plaît à le fourrer dans des situations difficiles. Mais il a une sorte d'innocence touchante qui fait qu'il passe à travers tout. Persuadé qu'il suffit de travailler pour être riche, Tommy rêve d'un retour triomphal au pays et ne ménage pas sa peine. Mais à l'atelier, on n'aime guère cet enthousiaste qui travaille tellement vite qu'il va falloir adapter le rythme de tout le monde pour le suivre. Son boulot : mettre 439 petits pois dans des bocaux de verre, pas un de plus, pas un de moins. Et le plus vite possible, bien sûr.
Eco construit un récit sensible et drôle. La naïveté de son personnage principal pousse à la sympathie plus qu'à la compassion. C'est tendrement comique, enlevé, simple et efficace. La conclusion est plutôt inattendue et laisse la porte ouverte à une suite mouvementée et forcément moins innocente.
Chhht ! par Thierry Bellefroid
« Chhht ! » de Jason. Chez Atrabile.

Jason, auteur norvégien découvert en 2000 à l'occasion de la publication de « Attends... » (aussi chez Atrabile), promène un échalas palmé à la tête d'oiseau dans un gros bouquin muet en noir et blanc. Proche des codes du dessin animé, le souci de lisibilité pousse l'auteur à nous offrir une histoire décantée, d'un graphisme sobre, dépouillé, immédiatement compréhensible. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cela n'appauvrit pas pour autant le propos. « Chhht » est un album étonnant, plein de petites surprises, qui explore la vie et la mort avec un regard décalé, ironique. Parfois, Jason nous fait penser à Trondheim, mais un Trondheim qui aurait à la fois renoncé aux mots et abordé une courbe plus grave. Car si on sourit souvent à la lecture de « Chhht », il ne s'agit pas d'un album drôle. Doux-amer le qualifierait mieux.
Mobilis in Mobile (Nemo) par Thierry Bellefroid
« Mobilis in Mobile », tome 1 de Nemo, par Brüno. Chez Treize Etrange.

Paru il y a quelques mois, ce petit livre librement inspiré de Jules Verne réserve d'excellentes surprises. D'abord par son graphisme simple, direct, presque musclé, qui rappelle un peu les Tif et Tondu de la grande époque (le Nemo de Brüno ne ressemble-t-il pas à Monsieur Choc ?). Ensuite parce qu'il allie une incroyable lisibilité à un dépouillement extrême. Souvent, les décors sont plus suggérés que montrés (et dans pas mal de cases, ils sont tout simplement inexistants, reportant naturellement l'attention du lecteur vers les personnages). Les couleurs, quant à elles, sont judicieusement employées. Bref, il y a derrière cette énième mise en image de « Vingt mille lieues sous les Mers » beaucoup de talent et d'imagination. Le récit lui-même étant captivant, avec son lot de mystères et de petits suspenses, on ne peut que se laisser emporter pour une plongée en apnée dans le monde de Brüno.

« Héraclès », tome 1 de Socrate le demi-chien. Par Sfar et Blain. Dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Paru en même temps que « Le chat du rabbin », ce demi-chien philosophe est cependant très différent. D'abord parce que Sfar en a laissé le dessin à Christophe Blain, qui s'illustre ici dans un exercice très « jeté », sans effets, prêt à être colorié (il y a très peu de matière à la plume, le dessin est fait pour de larges aplats, ce qui est rare chez Blain). Ensuite parce que la démarche est sensiblement différente. Socrate joue beaucoup plus la carte de l'humour que celle de l'érudition. S'il est philosophe et plein de bon sens, le chien s'oppose avant tout à la bêtise musclée et machiste de son maître. Le couple chien philosophe/grosse brute avinée fonctionne parfaitement et donne lieu à de succulents dialogues. Il y a très peu de phylactères dans cette BD qui tient plus de la voix off (magistralement) illustrée. Mais à force de vouloir faire de l'humour, Joann Sfar finit par nous proposer une succession de planches sans grand lien entre elles ; en fait on se demande pourquoi l'auteur n'a pas -pour la première fois- tenté l'expérience du gag en une ou deux planches. A bien y regarder, il y a une parenté entre ce Socrate et les gags (plus terre à terre, il est vrai) de Tronchet et Gelli dans « Patacrèpe et Couillalère ». Peut-être Joann Sfar eût-il gagné en efficacité à appeler un chat un chat. Et à pratiquer le gag dans sa forme la plus pure, en six cases. La plupart du temps, on en est très proche, mais avec une volonté de narration horizontale en même temps qui ne convainc pas pleinement (il y a très souvent une chute en bas de page et généralement une ellipse très large d'une page à l'autre).
A côté de cela, on a droit à quelques savoureux moments, qui prouvent le talent d'écriture de Joann Sfar. Exemple :
« Au réveil, mon maître fait de la culture physique. Moi, j'ai plutôt tendance à courir dans tous les sens. La culture physique sert à se maintenir en forme. En courant dans tous les sens, on se maintient également en forme, mais on ne le fait pas exprès. Le fait que l'être humain pratique la culture physique prouve qu'il a conscience de lui-même. Chez le chien, courir, ça ne prouve rien. »
Camden Rock (James Healer) par Thierry Bellefroid
« Camden Rock », tome 1 de la série « James Healer », par Swolfs et De Vita. Dans la collection Troisième Vague du Lombard.

Décidément, on aime les héros à la chevelure blanche, au Lombard. Si celui d'I.R.S. évoquait Steve Warson, le principal protagoniste de cette nouvelle série a indéniablement un petit air de Rork. Ce qui ne l'empêche pas d'évoluer dans un monde propre, aux antipodes de celui d'Andréas. James Healer, enfant blanc recueilli par les Shoshones parce qu'il correspondait aux prédictions d'une prophétie, est un médium engagé par la police, voire par le FBI, pour résoudre des enquêtes difficiles. Comme d'habitude, avec Yves Swolfs, on a envie de dire « cherchez le film et vous trouverez l'origine de la BD ». Cette fois, il est impossible de ne pas penser à la série télé « Profiler » à qui le scénariste emprunte même la technique de flashes visuels montrant les protagonistes dans des situations antérieures ou en train de commettre leurs crimes. Passée cette référence évidente, force est de reconnaître que James Healer est sans doute ce que Swolfs a fait de mieux depuis longtemps. Non-violent, résolument tourné vers ses propres origines et sa quête d'identité, Healer n'est pas un héros comme les autres. Il a tout pour plaire à un large public. D'autant que Giulio De Vita, dessinateur découvert dans « Les ombres de la lagune » (Soleil) et « La Fatwa » (tome 2 du Décalogue, chez Glénat) est franchement à la hauteur. Ses paysages, surtout, magnifient l'Amérique profonde que s'offre Swolfs pour ce faux western contemporain. Bref, Healer ne devrait pas tarder à être un succès de librairie. Cela ne veut pas dire qu'il est imparable. L'intrigue repose sur une recette déjà vue, tant en BD qu'en cinéma ou en littérature. Une recette que Swolfs lui-même a déjà exploité plus d'une fois. On se demande même s'il n'est pas quelque peu obsédé par cette idée des « ballets roses » de notables qui revient ponctuellement dans ses histoires. Pour le reste, la lecture de ce premier album est agréable, le héros intéressant, le contexte aussi. C'est déjà pas mal.
« Le Bibendum céleste », tome 3. Par Nicolas de Crécy. Aux Humanoïdes Associés.

Il faut le lire pour le croire. Nicolas de Crécy ne s'est pas assagi. Il continue son oeuvre surréaliste avec la même détermination. Seule concession à l'expérience, aujourd'hui, « Le Bibendum » apparaît moins comme un laboratoire que comme un espace de narration graphique. On se souvient des albums dans lesquels Nicolas de Crécy passait son temps à tenter des expériences, recouvrant ses dessins de plusieurs couches successives obtenues à l'aide de toutes les techniques possibles. Désormais, la facture est plus directe, la maîtrise de l'ensemble apparaît comme une évidence, les aplats sont plus nombreux, l'oeil s'est tout doucement habitué, aussi, à cet univers bigarré et apparemment dénué de codes. Apparemment seulement, parce que de Crécy a ses lois propres. Recherchant la spontanéité du premier jet, il travaille une matière brute très nerveuse en tentant de faire la synthèse entre le mouvement et la couleur. Ce troisième album réserve quelques très belles surprises graphiques (on a envie de dire « picturales ») et contient son lot d'images fortes : la cochonne au faciès de loup transportant le la tête coupée du professeur et sa membrane narrative n'en est que l'exemple le plus frappant. Mais le scénario reste toujours aussi abscons. Pour amateurs de surréalisme en BD... ou amoureux de dessin.
Quelqu'un va venir par Thierry Bellefroid
« Quelqu'un va venir » de Jon Fosse et Pierre Duba. Chez 6 Pieds Sous Terre.

Peut-on vivre un amour parfaitement autarcique ? C'est la question que se pose Jon Fosse, auteur norvégien, dans sa pièce de théâtre intitulée « Quelqu'un va venir ». Son rythme lancinant, comme traversé par des refrains envoûtants, a plu à Pierre Duba, qui a voulu en faire l'adaptation en BD. L'entreprise était de taille. « Quelqu'un va venir » est un huis-clos en bord de mer (et paradoxalement, le plus souvent en extérieur, juste au bord de la maison elle-même) dans lequel un couple choisit l'isolement pour partager un amour exclusif. Décidés à vivre les yeux dans les yeux dans la maison qu'ils viennent d'acheter, cet homme et cette femme vont voir leur plan se lézarder quand un voisin (de surcroît petit-fils de l'habitante précédente de la maison) pointe son nez et s'incruste. Et la pièce devient une variation sur la jalousie.
Tout cela, Pierre Duba l'a préservé et même magnifié dans son adaptation. Son livre est mystérieux, plein de fantômes et de non-dit. Le texte est une ritournelle maléfique qui vient se superposer à un traitement graphique des plus originaux. Entièrement en couleur (c'est une première pour 6 Pieds Sous Terre), il s'articule autour des bruns et des vert-de-gris d'une aquarelle délayée dans l'eau jusqu'à devenir trouble, évanescente. Le résultat est aussi déroutant que réussi.
Powers - T. 1 (Powers) par Thierry Bellefroid
« Powers » , tome 1. Par Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming. Chez Semic Books.

Après le remarquable Sam & Twitch, on ne peut que se féliciter de retrouver un scénario signé Brian Michael Bendis chez Semic. D'autant que « Powers » est loin de décevoir le lecteur avide de polar américain mi-fantastique mi-réaliste. Bendis, à la manière d'un Alan Moore, joue sur les superhéros pour mieux les détourner de leur fonction initiale. Son intrigue repose sur le meurtre inexplicable de Retro Girl, une justicière aux super pouvoirs qui est l'une des héroïnes de l'Amérique. L'enquête est confiée à un excellent duo. D'un côté, une montagne de muscles au passé mystérieux, l'inspecteur Walker. Au début de l'histoire, il est appelé à jouer les négociateurs dans une affaire de prise d'otages pas ordinaire. Mais c'est surtout au retour de cette mission qu'il va découvrir ce que la vie lui réserve. Son nouvel équipier est une femme. Elle a fait partie des Swaps et demandé sa mutation pour faire équipe avec le célèbre Walker. Le couple est bancal et l'esprit d'équipe y est inexistant. Deena Pilgrim passera plus de temps à apprivoiser Walker et à découvrir ses secrets qu'à faire avancer l'enquête.

Dans un monde où les superhéros ne tiennent que les seconds rôles, Bendis déroule sur le même ton son intrigue principale et une série d'histoires parallèles destinées à donner de l'épaisseur aux personnages. L'ensemble est captivant et d'une grande cohérence. Pourtant, le découpage très américain n'est pas toujours aisé à suivre pour un lecteur de BD biberonné aux albums franco-belges. Succession de très petites cases et de pleines pages, ruptures de rythme continuelles, ellipses parfois redoutables, planches racontant à la fois l'action elle-même et les programmes télé en continu (pendant 21 pages, par exemple, une succession de vignettes nous fait vivre en bas de page le programme de la chaîne locale et nous distille ses informations parallèlement à l'histoire), phylactères en chaîne se tenant à huit ou dix dans la même case... tout cela est déroutant. Mais mené de main de maître. Et comme le dessin de Michael Avon Oeming est d'une efficacité parfaite, on se laisse emmener dans cette étrange enquête d'une grande densité. 144 pages qui valent au moins une heure et demie de cinéma.
Fin de journée par Thierry Bellefroid
« Fin de journée » d'Olivier Quéméré. A La Cinquième Couche.

C'est peut-être l'une des couvertures les plus réussies de la production 2001. Mystérieuse, fascinante, équilibrée, sensible et sensuelle. Elle ne peut que vous donner envie d'ouvrir ce livre très personnel dans lequel Olivier Quéméré, Français « échoué » à Bruxelles, raconte un fragment de son quotidien avec un mélange de spontanéité autobiographique et de réécriture du réel. Sans beaucoup d'effets, son pinceau trace des petits tableaux à l'encre de Chine, dans un style que ne renierait pas Edmond Baudoin. Les yeux fixent les choses ou les instants à la manière d'une caméra dont chaque case serait un plan arrêté. Sorte de succession de Polaroïds qui, mis bout à bout, formeraient la trame d'un film. Les poses sont naturelles, les objets ont presque une vie propre. Et les sentiments qui unissent les deux personnages principaux -Olivier et sa très jolie compagne- se déposent sur la page dans un souffle léger qui rappelle tout simplement la vie.
Mais on ne peut parler de « Fin de journée » sans évoquer le texte narratif ciselé par Olivier Quéméré. D'emblée, il vous emporte vers des nuances presque musicales, comme dans cette partie de Scrabble où l'on peut lire : « Mon amour fait la moue... Elle voudrait bien faire un scrabble sur le mot-compte-triple et m'en foutre plein les mirettes... Ma belle femme... Ma belle femme de lettres.. Ma femme de lettres- comptent-triple, ma femme compte plus que tout... »
« Fin de journée » est un moment d'émotion monté en sautoir par un auteur pudique. Si vous voulez voir à quoi il ressemble, attendez qu'il se regarde dans le miroir, à la planche 31. D'un coup, la « caméra » se fixe sur ce visage pour un autoportrait d'une stupéfiante ressemblance...
« La mémoire de Dillon », troisième tome de Berceuse Assassine, de Tome et Meyer. Chez Dargaud.

Quoiqu'il advienne, Berceuse Assassine restera comme un tournant dans la production de Tome. Pour la première fois, le « gentil » scénariste de Spirou, SODA et autres histoires polissonnes du Petit Spirou est allé au bout de son envie de réalisme et de polar noir. Bien sûr, quand on dit « pour la première fois », c'est nier une toute première expérience en « one shot » avec Berthet dans la collection Aire Libre... il y a plus de dix ans. Mais sans doute Tome n'était-il pas aussi déterminé à casser son image qu'il l'a été en abordant Berceuse. Sans doute « Sur la route de Selma » a-t-il aussi quelque peu souffert du traitement très propre de Berthet et n'a-t-il finalement pas été pris au sérieux comme il l'eût fallu. Berceuse Assassine, en revanche a bénéficié du traitement réaliste mais aussi de la puissance du noir et blanc mâtiné de jaune de Ralph Meyer. Dès le premier volume, la critique s'est enthousiasmée. Et le public a mordu. Le deuxième album nous a prouvé à quel point Tome était doué dans ce registre puisqu'il s'offrait le luxe de raconter la même histoire sous un angle différent. Et voilà que le troisième volet vient clore l'ensemble en offrant un ultime point de vue au lecteur, celui du Navajo Dillon. J'avoue, je ne m'attendais pas à ce que ce soit lui le dernier « acteur » de la série. J'ai apprécié l'effet de surprise. Mais au-delà, l'album tient plus de la prouesse « sportive ». Il n'était sans doute pas totalement indispensable. Sa lecture reste toutefois un excellent moment, elle achève de donner du sens à ce simple fait divers qui lie Joe Telenko à Martha pendant près de cent cinquante pages. Elle offre à Tome une fin (trop ?) morale et à Ralph l'occasion de dessiner deux planches en couleur. Qu'on adhère ou pas au choix de ce troisième album qui emmène le lecteur très loin de l'intrigue pour l'y replonger d'un coup, une chose est sûre, cette trilogie deviendra très vite un grand classique de la BD. Et elle le mérite.
Pagaille dans les nuages (Oscar) par Thierry Bellefroid
« Pagaille dans les nuages », deuxième album de la série Oscar, par Lapière et Durieux. Chez Dupuis.

On l'aime bien Oscar, il est rigolo, délicieusement mythomane, espiègle, indiscipliné et affectueux. Et en plus, il fait des acrobaties du tonnerre. Si vous lisez l'album jusqu'au bout, vous saurez même pourquoi il est si agile. En attendant, ce gamin « échappé » de l'orphelinat qui vit dans un squat avec son ami Khartoum se la joue mécano grandeur nature. Engagé sur un chantier par un négrier de la construction en compagnie de ses amis squatters, il flirte avec les nuages au dernier étage d'un futur gratte-ciel. Pour Christian Durieux, tout cela est l'occasion de nous faire rire, frissonner et rêver à la fois ; son graphisme naturel et tout en rondeur fait merveille tant dans la simplicité des mimiques que dans les nombreuses scènes d'action. Denis Lapière s'amuse aussi et ça se sent. Bien sûr, la vraisemblance n'est pas la première préoccupation des auteurs. Mais il suffit de se laisser faire. Une fois entré dans cet univers enfantin aux profils très ciblés, on est comme un môme à une représentation de Guignol !
Le troisième thé par Thierry Bellefroid
« Le troisième thé » de Cailleaux. Chez Treize Etrange.

Discret, Christian Cailleaux. Peu prolifique, travaillant en dehors des sentiers battus, cet auteur passionné par l'Afrique a cependant su attirer l'attention de la critique et d'un certain nombre d'esthètes dès ses débuts dans la BD. Il faut dire que son graphisme épuré qui le rapproche d'Avril, de Serge Clerc, de Petit-Roulet, de Dupuy et Berberian ou parfois tout simplement d'Hergé est un atout non négligeable.

Depuis plusieurs albums, les histoires de Cailleaux tournent autour des mêmes thèmes et des mêmes personnages. Le jeune garçon blond qui en est le héros s'appelle tantôt Terry, tantôt Mogo et cette fois Félix. Il aime délaisser des amours trop fades pour rêver d'aventures et de trésors africains. Cette fois encore, la perspective de s'installer quelques semaines au Sénégal pour y négocier un authentique reliquat de l'époque coloniale le pousse à abandonner une jolie blonde qui se lassera de l'attendre. Félix, c'est Cailleaux lui-même, pense-t-on, à lire ces histoires d'aventure rêvée sous les tropiques. Cailleaux qui prolonge ainsi le temps de ses voyages et nous propose pour l'occasion de partager son album de souvenirs. Croqués sur le vif, les personnages sénégalais rencontrés par Félix sonnent juste. Les dialogues montrent que l'auteur a souvent séjourné sur place ; non seulement il place les quelques mots « locaux » qui font crédible mais aussi -et surtout-, il installe un rythme africain dans la conversation. Et il en fait le véritable héros de l'histoire. A tel point que ce petit livre qui devait initialement s'appeler « La terrasse de Gouroumbaye » est devenu « Le troisième thé », référence évidente au rituel du thé qui se sert en trois fois, du plus amer au plus doux, et qui imprime son rythme à la conversation.

« Le café du voyageur », opus paru chez Treize Etrange en 2000, était déjà en bichromie. Cailleaux y avait opté pour un trait plus fin, plus épuré que le lavis de « Harmattan, le vent des fous » (Paru chez Dargaud en 98). Cette fois, l'auteur ajoute un travail sur la matière en jouant à la fois d'une plume plus anguleuse et du crayon. Le trait devient celui d'une ligne claire fragile, parfois effleurée, volontairement maladroite ou inachevée. Mais la justesse de la bichromie vient « emplir » le dessin d'un véritable souffle. On sait que l'album devait sortir aux Humanoïdes Associés, dans la collection Tohu Bohu. On sait qu'il y a eu désaccord entre l'auteur et l'éditeur et qu'il est finalement reparti avec ses planches sous le bras. Si la raison exacte de cette mésentente portait sur le choix de la bichromie (qui coûte plus cher à l'impression), Cailleaux a rudement bien fait de choisir Treize Etrange. Le format est plus petit. La distribution sera confidentielle. Mais bon dieu que cela est beau !
Kissers par Thierry Bellefroid
« Kissers », par James Kochalka. Paru chez Ego Comme X.

C'est un gros livre de plus de 170 pages, parcouru de très beaux dessins en noir et blanc, d'une simplicité presque enfantine. Un conte, ou plutôt une fable, qui raconterait les amours d'une chatte et d'un oiseau. Tout y est stylisé : les personnages, les animaux et les décors, d'une part. Les sentiments de l'autre. Il y a une sorte de magie dans la narration de Kochalka qui parvient à exprimer le monde en deux ou trois traits bien placés sur la feuille. Le monde, c'est l'amour, la mort, l'égoïsme, la prédation, la tendresse, l'espièglerie, la liberté ou la complicité. « Kissers » en propose un concentré. Désarmant par son économie de moyens, ce récit touche à la grâce du bonheur.
« Souvenir d'une journée parfaite », par Dominique Goblet. Chez Fréon.

Après deux collectifs et deux albums solo, voici le cinquième titre de la collection « Récits de ville » qui rend compte des travaux réalisés en atelier international par les éditions Fréon durant les années 99 et 2000. Derrière une couverture quelque peu austère évoquant la tristesse dans la désolation, le lecteur trouvera une étrange histoire où fiction et autobiographie se nourrissent l'une l'autre pour un échange sur la mort et le souvenir. Tout cela peut sembler très noir. Mais Dominique Goblet a un tel talent de dessinatrice que son cimetière ucclois (une banlieue de Bruxelles) résonne de silences méditatifs et de chants d'oiseaux. A aucun moment, le lecteur n'a le sentiment d'assister, complice, à une complaisante promiscuité avec la mort. Pourtant, Dominique Goblet ne parle de rien d'autre, ou presque. Elle arrive, aidée par les textes de son complice Guy Marc Hinant, à n'en parler qu'à travers la vie. Et même à ne nous parler vraiment que de la vie. Son dessin est tantôt envoûtant tantôt spectaculaire. Quelle incroyable vivacité dans cette scène de cortège funèbre sous la pluie ou dans ce vol d'étourneaux qu'elle a observé en octobre 2000 avant de le « figer » sur la feuille. Le crayon gras semble courir sur le papier, et la minute suivante, y glisser tout en longueur, comme une feuille morte emportée par une brise légère. Dominique Goblet y ajoute une bichromie légère qui s'exprime dans des nuances jaunes (comme sur la couverture) obtenues en salissant le papier à l'aide de corps gras. Le résultat est magnifique, aussi magnifique que ces histoires parallèles tressées pour n'en retenir que le souvenir d'une journée parfaite.
« Nul n'est censé ignorer ma loi », premier tome de la série Dirty Henry, par Jenfèvre et Richez. Chez Bamboo.

Paru il y a déjà quelques mois, cet album a rencontré un joli succès et démontre que Bamboo est en train de se positionner sur un marché pourtant peu accessible, celui de la BD d'humour tout public. Je viens seulement d'avoir l'occasion de le lire et je dois le reconnaître, je me suis bien amusé. Les premiers gags jouent à fond sur l'effet de surprise et sur le tandem formé par Henry, le flic new yorkais pas trop scrupuleux, et son chien cannibale, Bullet. Le duo vire au trio avec l'entrée en scène du complice, Flan', jeune recrue mise au parfum par Dirty Henry. A chaque gag, ils font reculer les frontières de la bêtise humaine pour le plus grand plaisir du lecteur. Sans prétention, sans effets, les auteurs parviennent à installer un climat et à surprendre, la plupart du temps. Malgré quelques planches plus convenues, l'ensemble est franchement bien enlevé, vif, joyeux et totalement sans prétention. Le graphisme très magazine de Spirou (on pense à Bercovici), s'il ne surprend guère, colle parfaitement aux objectifs de la série. Bref, tous ceux qui cherchent vainement de nouvelles séries humoristiques (il y a en a plein les bacs des libraires, mais combien font vraiment rire ?) peuvent sans crainte tester ce nouveau-venu.
« La Bar-Mitsva », tome 1 de la série « Le Chat du Rabbin », par Joann Sfar, dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Joann Sfar écrit comme il respire. Et on a envie de dire qu'il respire bien. Il respire la santé, même ! Le voilà qui entame deux nouvelles séries à la fois dans la collection Poisson Pilote ; l'une a pour vedette un chat juif qui désire passer sa bar-mitsva et l'autre un chien grec philosophe compagnon d'un demi-dieu qui se définit donc comme un demi-chien. Dire que Joann ne manque pas d'imagination devient le plus grand des lieux communs. Alors, louons plutôt son imaginaire que son imagination, car pour moi, il y a une nuance importante. L'imaginaire de Joann Sfar, c'est ce monde à la fois érudit et poétique où en artiste de la figure libre il explore salle après salle tous les recoins d'une BD qui serait le carrefour des arts et des disciplines ; par la peinture, la gravure et le dessin, il se fait à la fois philosophe, poète, conteur, démiurge et détenteur de la tradition juive.
Cet espèce de conte talmudique est un OVNI, un de plus, dans le petit monde de la bande dessinée. Pourtant, le Chat du Rabbin n'est peut-être pas ce que Joann a fait de mieux. Peu importe. Parce qu'il est l'une des composantes d'un univers qui forme un tout et qui s'affirme avec de plus en plus de cohérence au travers d'une oeuvre d'une incroyable richesse intellectuelle et artistique.
Pour parler plus spécifiquement des qualités et défauts de cette BD, il faut presque parler des qualités et défauts de Sfar. Car quel que soit l'album, on retrouve une marque de fabrique que dénoncent ses détracteurs et louent ses fans. C'est vrai, ici peut-être plus que dans certaines autres histoires, on a l'impression que le scénario tient de la séance d'improvisation sur un thème imposé. Joann serait sans doute capable de faire une histoire d'un morceau de saucisse acheté chez le boucher ou d'une brosse à dents trouvée dans une poubelle ; il serait même capable de pondre cinq volumes de chacune de ces deux séries. Mais qu'importe, si la finesse d'exécution y est. Les dialogues de ce Chat du Rabbin sont d'une telle saveur, la contradiction talmudique y est si bien poussée au rang d'art rhétorique et l'ironie y est si légère... que j'en redemande encore et encore. Au risque de passer pour un « sfan » béat !
Crochet (Peter Pan) par Thierry Bellefroid
« Crochet », dans la série Peter Pan, par Régis Loisel chez Vents d'Ouest.

Il a fait l'événement à Angoulême et c'est bien normal. Avec un nouvel album très attendu et une exposition sur Peter Pan, Régis Loisel -désormais établi au Canada- était l'une des personnalités les plus en vue de ce 29ème festival. Il faut dire que son adaptation du roman de James Barrie n'est pas banale. En fait d'adaptation, il faudrait plutôt parler de « réappropriation », puisque Loisel a choisi de raconter la genèse de cette histoire rendue célèbre par Walt Disney. Il le fait avec un talent époustouflant qui s'exprime tant dans l'imagination et les profils poussés des personnages que dans le dessin lui-même. A ce sujet, « Crochet » n'a rien à envier à ses prédécesseurs. L'avant-dernier album de la série a beau s'être fait désirer pendant plus de cinq ans (avec tout ce que cela comporte de risques de déception), il se hisse d'emblée parmi les ouvrages de référence, que ce soit en matière de lisibilité, de fraîcheur du trait, de maîtrise des couleurs et des décors ou de vitalité du dessin.
Vents d'Ouest ne s'y est pas trompé. L'éditeur a mis toute la gomme pour faire de cette sortie sa meilleure carte de l'année : 170.000 albums mis en place, ce n'est pas rien. Sans compter le nombre de titres du fonds qui risque de s'ajouter aux ventes de la nouveauté. Bien sûr, il n'en faut pas plus pour que le clan des puristes trouve que Loisel a vendu son âme. Personnellement, j'avoue avoir une préférence pour d'autres tomes de la série. Mais cet album est tellement supérieur à la moyenne de la production qu'il serait dommage de s'arrêter à de tels arguments. D'autant qu'il s'agit d'une pièce indispensable dans cette fresque qui compose une fabuleuse galerie de personnages à la psychologie passionnante. A lire absolument, donc.
« Pour le meilleur et pour le pire », tome 2 des aventures de Max & Nina, par Dodo et Ben Radis. Chez Albin Michel.

Avis aux nombreux « suiveurs » qui pullulent dans le paysage de la BD, voici la preuve qu'on peut aborder les mêmes thèmes qu'eux sans copier Dupuy et Berberian. Il faut dire que Dodo et Ben Radis ne sont pas nés de la dernière pluie; il y a un peu plus de vingt ans que Dominique Nicolli offre ses scénarios aux relents plus ou moins autobiographiques au crayon de Rémi Bernardi. Ensemble, ils ont fait les beaux jours de Métal Hurlant, Best et Rock & Folk, c'était l'heure du rock. Quelque peu assagis aujourd'hui, leurs héros Max et Nina, nous offrent une belle tranche de vie de jeune couple. Ca commence par l'amour fou, le mariage, les gondoles à Venise. Et puis la machine cale très vite : paresse, reproches, jalousie, envies... tout va de travers. Avec un sens aigu de l'observation, Dodo croque ce jeune couple pour nous faire sourire en nous moquant de nous-mêmes. Difficile de ne pas se reconnaître à un moment ou un autre. Le dessin de Ben Radis, entre Disney et la ligne Métal, fait merveille. Bref, un très bon moment de lecture.
Les Glaces (Isaac le Pirate) par Thierry Bellefroid
« Les glaces », tome 2 de la série Isaac le Pirate, par Christophe Blain, dans la collection Poisson Pilote chez Dargaud.

Difficile de parler d'Isaac le Pirate après la consécration du premier tome à Angoulême. Bombardé « Alph'Art du meilleur album » par le jury présidé par Martin Veyron, le premier récit de cette série assoit définitivement la réputation d'un auteur remarquable. Au risque de placer très haut la barre à franchir pour les autres albums de la série. Au risque aussi d'étouffer les velléités de critiques par un effet de mode et de pression médiatique. Tentons de naviguer entre ces écueils pour reconnaître objectivement à la suite de ce récit épique des qualités irréprochables et une rigueur qui caractérise la presque totalité de la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

Que dire de cette magistrale leçon de dessin ! Il est bien difficile de lui trouver des défauts, même si, passée la surprise du premier tome, on s'attend un peu plus à subir les événements. Isaac le dessinateur est donc embarqué malgré lui dans le projet fou de Jean le pirate, il partage la vie du bord et descend avec ses compagnons de fortune vers les glaces. Un voyage hallucinant et fantomatique qui permet à Christophe Blain d'explorer la lumière jusque dans les barbes non rasées de ces hommes. Blain parle de ce qu'il connaît : il connaît la peinture, le dessin, la mer et la banquise. Mieux, il en maîtrise tous les contours et ça se sent. Cet album aux antipodes des récits de piraterie des Charlier et autres fils de Barbe-Rouge prouve si besoin était qu'on se trouve en face d'un auteur en pleine ascension, qui n'a même pas encore montré toute l'étendue de son talent. Quelques excellents dialogues viennent rehausser une histoire toujours passionnante, même si elle connaît de temps à autre un petit creux dans l'intensité. Il y a des scènes, des situations ou des images des « Glaces » que l'on n'oublie pas. On referme le livre et on s'aperçoit qu'on y est encore, on frissonne un peu, on remonte la couverture et on s'enfonce dans la chaleur du lit. On ferme les yeux ; ça y est, c'est l'aventure. Le sommeil qui suit Blain est encore de Blain !
La fin et le début (Replay) par Thierry Bellefroid
« Replay, la fin et le début », par Sala et Zentner. Chez Casterman.

Il était temps que ça s'achève ! Après un premier album enthousiasmant, un deuxième déjà moins intéressant, le troisième est carrément ennuyeux. La redondance des phrases en voix off finit par donner un côté pédant à l'ensemble et il faut dire que ce qui ressort de cette trilogie est qu'on pouvait faire la même chose sans tomber dans une forme aussi pompeuse et emphatique. Ces trois fois quarante-huit pages dégagent un parfum de maniérisme qui n'est malheureusement pas à la hauteur de la conclusion, finalement assez bancale. Les cartes étaient si brouillées au terme du premier album qu'on ne pouvait qu'imaginer une histoire tordue. Elle finit par être presque banale. Dommage, car Jorge Zentner est un grand scénariste qui ne nous a jamais déçu...
Quant au dessin de Sala, il explose littéralement dans certaines scènes de ce troisième opus. Même s'il doit encore toujours s'affranchir de l'influence de Nicolas de Crécy, Sala possède un véritable talent de dessinateur d'ambiances. Son travail sur la matière et sur la lumière le prouve. Ne lui reste qu'à trouver un univers plus personnel et, c'est sûr, on reparlera de lui.
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